Les statues de l’île de Pâques ont-elles un jour marché ?

Un moaï encordé, prêt pour être déplacé à la verticale. Crédit: Lipo et Al.

A l'aide de trois équipes munies d'une solide corde, une expérience a montré qu'il est possible On aura tout invoqué, même les extraterrestres, pour essayer de comprendre comment des statues de plusieurs tonnes ont pu être transportées sur des kilomètres sans l’aide de grues,

de poulies ou de roues. Mais l’île de Pâques et son millier de moaïs a vu une nouvelle hypothèse, aussi insolite que plausible, être testé : ces statues en pierre auraient marché !

Une équipe de l’université de Long Beach en Californie a publié ses résultats au début du mois dans la revue journal of archaeological science après un essai grandeur nature sur l'île chilienne, aussi appelée Rapa Nui. National Geographic avait déjà couvert ces essais cet été, mais ils n’avaient pas encore abouti à une publication scientifique.

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Leur chute donne des indices

Jusqu'ici, les travaux archéologiques sérieux considéraient que les moaïs, ces géants de pierre, avaient été transportés à l’horizontale entre les carrières et les lieux où ils étaient finalement redressés. Mais certains éléments ont mis la puce à l’oreille des chercheurs californiens. Divers moaïs ont en effet été retrouvés abandonnés, voire brisés, le long des anciennes routes. Or, dans les montées, ils sont généralement couchés sur le dos alors qu’ils sont plutôt sur le ventre dans les descentes.

Cela correspond à un mode de transport où les statues sont debout, le visage en avant. Leur posture allongée seraient alors due à des chutes lors desquelles les moaïs seraient logiquement tombés en fonction de l’inclinaison du sol. Mais comment parvenir à faire déplacer debout des statues dont les plus imposantes atteignent 74 tonnes pour 10 mètres de haut ?

Selon les chercheurs, les Polynésiens qui ont colonisé l’île il y a 800 ans se seraient en fait servis de trois groupes d’hommes munis de cordes. Deux groupes se tenaient un peu en avant du moaï, un à sa droite et l’autre à sa gauche. Le troisième groupe restait derrière pour empêcher le monstre de pierre de tomber en avant à cause du mouvement des deux autres.

Les balancements produits par les transporteurs font alors avancer l’imposante sculpture. Carl Lipo et Terry Hunt, les auteurs de l’étude, ont mené une reconstitution où une équipe de 18 personnes a réussi à faire avancer de 100 mètres en une heure une fausse statue de 4,4 tonnes. Il est donc bien possible qu’avec plus de main d’œuvre, les anciens habitants de l’île aient pu transporter leurs créations à la verticale sur plusieurs kilomètres.

Une théorie qui ne fait pas l’unanimité

Toutefois, l’enthousiasme de cette découverte n’est pas partagé par tout le monde."Ce qu’ils ont fait s’apparente plus à une cascade qu’à une expérience, dénonce àNature Jo Anne van Tilburg. Ces travaux ont sorti les statues de leurs contextes archéologiques. Je pense que chaque fois que l’on fait ça, même avec précaution, on entre dans le domaine du fantastique et de la spéculation à un niveau qui n’est pas scientifique."

Jo Anne van Tilburg dirige le Easter Island Statue Project et a mené des expériences concluantes sur le transport horizontal des moaïs. Elle est aussi à l’origine des fouilles qui ont mis en lumière le fait que certains moais étaient beaucoup plus grands qu’on ne le pensait, car toute la partie inférieure de ces statues était en fait enterrée. Mais le mode de diffusion confus et viral des photos par email dès 2011, l’absence de publication scientifique et un site web alors impossible à atteindre ont fait que les principaux médias scientifiques n’avaient pas repris la nouvelle. Les travaux de la chercheuse n’ont pas pour autant été démentis.

Carl Lipo et Terry Hunt trouvent eux que les moaïs ont de trop nombreuses caractéristiques qui facilitent leur transport vertical pour qu’il n’y ait pas anguille sous roche. La position de leur centre de gravité facilite les oscillations et leur large corps et leur tête allongée les rendent stables. "Ce qui est super c’est que leur forme reflète l’ingéniosité des habitants de Rapa Nui, s’enthousiasme Carl Lipo. Ils les ont construits pour pouvoir faire ça."

Maxime Lambert